jeudi 23 avril 2015

Jean-Paul GAULTIER. Le Nounours, le Corset et la Grand-Mère.

Jean-Paul Gaultier, Corset.
Photo ©FDM, 2015.

Exposition Jean-Paul GAULTIER
au Grand-Palais, Paris.
Du 1er avril au 3 août 2015.

Icône et égérie de la mode branchée et d’avant-garde, Jean-Paul Gaultier s’est souvent épanché sur les sources enfantines et familiales de sa passion pour le vêtement. Deux figures totémiques reviennent constamment dans le fil de ses récits : le nounours en peluche, le corset de la grand-mère.

Le nounours tout d’abord, objet transitionnel par excellence, qui joue dans l’histoire de notre héros la fonction d’un entre-genres et entre-sexes bien particulier. – Usé, délavé, manipulé et (on s’en doute) profondément chéri le « teady bear » de Gaultier se vit affublé (dès l’enfance) de deux protubérances coniques, préfiguration de ces bonnets et soutien-gorges surpiqués qui caractériseront certaines des créations les plus connues du couturier. Madonna y fit fureur dans un de ses shows.

Tendre nounours. Impertinent et naïf. Enfantin et stylé. Prêt à se parer d’une marinière (rayée comme il se doit), d’une casquette de marin, d’un kilt écossais ou d’un jean surbrodé. Jean-Paul Gaultier aime les mélanges, ose les croisements ethniques les plus incongrus, les plus sophistiqués : des cuissardes taillées dans des soieries et chinoiseries colorées, des pelisses d’esquimaux, des japonaiseries revisitées, des plumes et des corps d’oiseaux multicolores sur de sombres justaucorps.

Les matières et les emprunts aux différentes civilisations du monde sont pour Gaultier un inépuisable vivier : une peau de crocodile mordorée en sort qui pare le dos d’un vêtement [on trouve à la même époque – 2003 – cette même peau de crocodile, mais noire cette fois-ci, dans une veste en queue de pie (de crocodile) chez Azedine Alaïa].

On y trouve encore des peaux, des poils, des plumes, des franges… des paillettes, des broderies, des passementeries… et le fameux corset de la grand-mère. - Squelette. Apothéose et résumé du corps de la femme. Pièce archétypique dont la découverte eut pour l’enfant la réalité et le parfum d’une scène primitive. Jusqu’à devenir le modèle et l’archétype de toute représentation du corps humain.

Qu’est-ce qu’un corset effectivement, sinon la quintessence d’un appareillage de muscles, d’os et de baleines ? De cintres, de tiges et de rubans à lacer ? – Le corps de chair s’y construit et déconstruit et vient se confondre avec ce qui lui tient lieu de prothèse.

Jean-Paul Gaultier a su (comme nul autre) extraire le corset - instrument de contention - de l’histoire du vêtement. D’un « dessous » il a fait le seul « dessus » qui soit. C’est là le triomphe du « sous-vêtement » et de ce qui - caché, dissimulé - demeure l’armature et l’ossature de tout apparaître vestimentaire.

C’est là, dans l’exhumation et la réinvention de ce « vêtement du dessous » que Jean-Paul Gaultier s’est montré le plus créatif. Face à la diversité des différents « bâtis » ici exposés et proposés, à la prolifération des laçages, à la réinvention constante d’une prothèse qui de corset (ou de cage) se fait tutu, robe du soir ou de grand falbala, on demeure émerveillé.

Un mot sur le protocole même de cette exposition du Grand-Palais. Tout est ici présenté dans un joyeux et proliférant bazar. Dans une mise en scène très surchargée. Dans des décors dégoulinants de lumières, de motifs. C’est généreux, mais cela oblitère considérablement l’appréhension de chaque vêtement.

On enfile ici les créations comme des perles. Les images se chevauchent. C’est là (me semble-t-il) une erreur. La couture (Haute et « autre ») a droit au titre d’art. Encore faudrait-il que le processus de présentation des œuvres soit adéquat au but cherché. Et qu’il permette d’isoler CHAQUE vêtement, à la façon d’une ŒUVRE.

On a ici cherché le nombre, la quantité et voulu TOUT montrer, TOUT présenter. ENSEMBLE. Comme dans le brouhaha d’un défilé (de mode). Cela nuit à la vision des pièces les plus importantes (elles sont nombreuses). – La mode mérite une véritable présentation muséale. Jean-Paul Gaultier aussi. – Mais peut-être ne veut-il pas encore (déjà) entrer au Musée.


Exposition Jean-Paul GAULTIER au Grand-Palais

Jean-Paul Gaultier. Corset.
Photo ©FDM, 2015.

jeudi 16 avril 2015

Les noirs de VÉLASQUEZ (1599-1660).

Autoportrait, 1940. Photo DR.

Exposition VÉLASQUEZ
au Grand-Palais.
Du 25 mars au 13 juillet 2015.

Pouvoir contempler à Paris un ensemble conséquent de toiles de Vélasquez est suffisamment rare pour que l'on se précipite au Grand-Palais. Où l'on retrouve les portraits, autoportraits, scènes de genres et natures mortes qui ont fait le renom du peintre espagnol.

Vélasquez est connu pour l'acuité de ses portraits et (en même temps) pour la profondeur et le mouvement de sa touche : vibrante, atmosphérique. Vaporeuse presque. - Acuité des traits et touche atmosphérique : ce sont là deux qualités que l'on pourrait croire antinomiques, mais que Vélasquez concilie de main de maître.

Ce qui confère à l'ensemble de ses figures, comme aux objets de ses natures mortes (les "bodegones"), toute la densité et la présence d'une RÉALITÉ. - Le monde qu'il peint et dépeint est là sous nos yeux, vivant, vibrant… et dans le même espace (le même "temps") que nous.

Miracle de la peinture : la perfection d'un rendu, la sensualité d'une touche provoquent une reviviscence. Le passé est bien là. Ménines, courtisans, nains, servantes nous regardent et nous contemplent à leur tour.

Le fameux tableau des Ménines ne s'est pas déplacé. Mais on en retrouve des éléments dans d'autres tableaux (les portraits de l'infante) et jusqu'à cette lumière qui inonde bien des toiles.

On pourrait parler longtemps de l'extraordinaire modernité de Vélasquez, qui va droit à l'essentiel et vous campe et trousse un sujet comme on le fera à la fin du XIXe siècle. De manière libre. Insolente. Sa Vénus au miroir semble anticiper trois siècles de peinture. Et là, bien, sûr on songe à Manet, à la puissance et à l'instantanéité de cette touche qu'il avait bien décelé chez le grand espagnol.

C'est sur les NOIRS de Vélasquez que je voudrais insister, ces noirs omniprésents dans la grande série de ses portraits (et autoportraits). Ses noirs si riches, et déclinés en autant de variations et de camaïeux. Les personnages peints en pieds dans leurs sombres costumes, parfois rehaussés de broderies (rouges, argent, or), sont le plus souvent uniformément noirs. Mais attention : tissus, parures, costumes comportent des crevés, des dentelles, des boutons, des motifs - NOIRS souvent mais tous parfaitement délinéés et visibles sur la toile.

D'autres fois (comme dans son Autoportrait de 1640), le NOIR forme une masse dense et complexe qu'éclaire brutalement le tranchant de la collerette BLANCHE. Celle-ci est comme une lame ou un coutelas, isolant et présentant la tête de Vélasquez à la façon de celle d'un Jean-Baptiste. - Sous la collerette perlent, par transparence, les motifs blancs de la dentelle. - Les noirs de l'ensemble du tableau demeurent profonds, capiteux, vibrants. Chevelure, pupilles sombres, moustaches, revers du col participent d'une puissante calligraphie.

Campé au travail, son outil à la main, le sculpteur Juan Martinez Montanes (Portrait, 1636) est enveloppé d'un ample vêtement noir. C'est la lumière ici qui dénivelle les plis et les volumes. Et le jaune qui fait vibrer le tout. Toute une histoire du vêtement serait ici à retracer, col blanc et manchettes soulignant le geste et donnant à tout ce noir une sorte de théâtralité (Voir sur ce point les ouvrages de Manlio Brusatin et de Michel Pastoureau). - On s'amusera du caractère graphique et calligraphique de la sculpture, ici représentée (dans ce tableau) sous les espèces d'une masse encore mal dégrossie.

Exposition VÉLASQUEZ

Portrait du sculpteur Juan Martinez Montanes.
1636. Photo DR.