jeudi 23 juin 2011

SERRA / BRANCUSI : A-PESANTEUR ET GRAVITÉ.

La Fondation Beyeler est connue pour l'inventivité et la perfection de ses accrochages. Relier les aventures artistiques, tracer mille et un chemins de traverse d'un artiste à un autre, d'une forme à sa complémentaire, ce fut là le jeu constant d'un Ernst Beyeler, animé de ce sixième sens qui fait entrer en résonance des oeuvres singulières.

L'exposition Brancusi / Serra est une affaire de lignes, de volumes, de plans, de blocs sculptés. Inscrits dans un espace et eux-mêmes générateurs de nouvelles lignes et de plans de coupes inédits.

A-PESANTEUR ET GRAVITÉ : Delineator, œuvre en acier laminé élaborée par Richard Serra en 1974-1975, est la magistrale démonstration de ces deux principes. Situées l'une au sol et l'autre au plafond, les deux gigantesques plaques d'acier rectangulaires se croisent l'une l'autre, circonscrivant une croix potentielle. L'espace de l'entre-deux de ces plaques, qui est aussi l'espace que perçoit le spectateur, entre en tension. Le sens de la gravité fait son œuvre et pèse de tout son poids. A tel point que l'on ne sait plus laquelle des deux plaques s'envole ou pèse. Comme dans les œuvres de Joseph Beuys, un champ énergétique a été créé.

Avant même l'actuelle exhibition et la théâtralisation de cette rencontre à la Fondation Beyeler entre les deux sculpteurs, il y eut la fascination que Richard Serra entretint pour l'oeuvre de son aîné. Au point, durant toute une année passée à Paris, en 1964-1965, de fréquenter quotidiennement l'atelier de Brancusi et d'ausculter minutieusement les lignes de force qui se trament d'une sculpture à une autre, d'un volume à un autre. Vivant foyer de lignes imaginaires. De toutes les lignes possibles : par élision, entrecroisement, collision ou collusion.

D'une salle à l'autre nous passons aujourd'hui de l'ovale matériel et parfait de la Muse endormie (1910) à l'arête sèche, mais tout aussitôt redéployée en plan et génératrice d'espace, des aciers corten de Serra.

Les espaces, au long du parcours, travaillent dans la sobriété des lignes, dans la puissance des matières : marbres opalescents, bronzes polis comme des miroirs, affutés comme le cri ou le vol de l'oiseau (Brancusi, Oiseau dans l'espace, 1927).

Les ovales, ellipses, formes rondes de l'un équilibrent les cubes, carrés, rectangles et plaques (souvent assouplies et recourbées) de l'autre.

Couleurs, matières s'exaltent mutuellement. La texture comme rouillée de l'acier, ses bruns, ses ocres, ses éclats métalliques ont pour pendant cette autre contraste des matières où excelle Brancusi. Le laiteux, l'opaque, les noeuds du bois et les veines du marbre ont pour contrepoints ces surfaces réfléchissantes et polies qui crèvent l'espace. L'or, le bronze, et la diversité de ses patines, répondent au caractère souvent rugueux des socles.

SERRA. BRANCUSI / BRANCUSI SERRA : deux instruments, deux mondes s'ajoutent, s'additionnent, se croisent, se répondent. Circonscrivant un espace de jeu intermédiaire. À chaque visiteur de déployer à son tour l'arsenal entier de ses rituels, regards et procédures. Et d'inventer son propre parcours. Car la sculpture aussi est faite par « ses regardeurs » et par ceux qui - amoureusement - tournent tout autour.

Cf. « La pesanteur de la matière » , « L'immatériel », in Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne et contemporain, Larousse, 2008.

Fondation Beyeler, juin-août 2011.

mardi 21 juin 2011

MIRRORS. REFLECTIVE MATERIALS. BRILLIANT TEXTURES. ART BASEL 2011.

©FDM

Art Basel has just closed its doors. Exit therefore believed 2011. The grand ceremony of contemporary art will reappear in June. It will contain the same major art galleries, those that contribute to maintain the rating of recognized artists and others, younger, often from what is called the art scene of the so-called emerging countries. In recent years, the trading center of these products are very popular as the works of art has shifted to Asia. The Chinese are now very active and this 42nd edition of the Fair hosted a few galleries in the Middle East.

The application of the art market is not sufficient to generate undeniable talent. Contemporary art exhibited here often tends to repeat, repeat, and seem to seek. Notable in this regard, the ubiquity of "Pollock" that is reappearing here and there in the fair: the form of a facility, including a scale model replica of a model or dripping (Robert Kusmirowski, Variations on a Theme of Jackson Pollock, 2011) or even under the species of Blue Poles to expect on a stand. The original, we know, is in Australia, in Canberra. The one here proposed, exhibited, offered is a replica ("It's not a Pollock"), mechanical and well oiled. "Perfect." Too perfect. The most contemporary art will be well managed to transform some of the works of one of the major painters of the twentieth century "crusts" that can adorn your dining room, office or the lobby of the headquarters of your company.

Beside so sure values (the Picasso, Bacon, Tapies, Miro, Rauschenberg and Louise Bourgeois ...) and now confirmed artists (such as Anish Kapoor, as everywhere in this show are currently on the international scene) or artists (such as Marlene Dumas) confirm their importance, the young art scene is a frequent in the glitz and kitsch. The materials are intended to be spectacular. Bright colors. Polished surfaces. Beads. Mirrors. Reflective materials. Brilliant textures. Navigating in the world of reflections and the "bling-bling." This art needs to SHINE.

Some international aesthetic and decorative, very strong by design, is thus established, which is probably as advice to new managers as the tastes of art, folklore and certain « habitus » cultural newcomers. Contemporary Chinese culture (which appreciates above all the bright colors, shiny reflections) it would require little by little his trademark ? And here it must be said, too many Kitsch kills Kitsch. In some stands, there is often only one desire, that of taking his legs to his neck ... to escape the noisy exhibition of objects, reflections, to find - not far from tram - the austere purity of the steel plates of Richard Serra, minimalism and a Brancusi's endless column timeless (Fondation Beyeler). - We will come back.

In this Fair, and the turning lanes, I liked a lot, passionately, madly : the blue of the installation of James Turrell (Joecar Blue, 1968), so enhanced by the shadows of the visitors, the heart sewing machine, by Louise Bourgeois (red and pink between the rolls of blue yarn and sew for the darning, Heart, 2004), the white structures, air and skeletal (made of letters as suspended in space) by Jaume Plensa, the effectiveness of cosmetic slogans of Barbara Kruger (I Thought You Were Someone Else, 2008), the plump white marble and a small figurine of Botero (1932), cracks, holes, tears and burns by Fontana, Millares, Burri... And again, a jumping jack of Sophie Taeuber-Arp (1918), « La Fontaine Butterfly », Rebecca Horn (2011): a blue liquid flows from a funnel, the butterfly's wings began to vibrate. Or the film, this beautiful film - framed, framed so constantly - Lewis Baltz (Candlestick Point, 1984-1988). Or - but how not to end! - the installation-sided row of Dan Flavin : the neon colored tubes radiate a light that turns gradually progresses to the visitor. The overall vision gives way to close. And then everything changes. See you in another sensory register. Touch. Terribly touch.

* Florence de Mèredieu, Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne et contemporain, Larousse, 2008.

dimanche 19 juin 2011

ART BASEL 42. (2011).

©FDM

La Foire de Bâle vient de fermer ses portes. Exit donc le cru 2011. La grande cérémonie de l'art contemporain réapparaîtra en juin prochain. On y retrouvera les mêmes grosses galeries d'art, celles qui contribuent à entretenir la cote des artistes reconnus et d'autres, plus jeunes, en provenance souvent de ce que l'on nomme la scène de l'art des pays dits émergents. Ces dernières années, le centre marchand de ces produits très courus que constituent les œuvres d'art s'est déplacé vers l'Asie. Les chinois sont désormais très présents et cette 42e édition de la Foire a accueilli quelques galeries du Moyen-Orient.

La demande du marché de l'art ne suffit toutefois pas à engendrer d'incontestables talents. L'art contemporain ici exposé tend souvent à répéter, redire, et semble bien se chercher. Notable à cet égard, l'omniprésence d'un "Pollock" que l'on voit réapparaître çà et là dans la foire : sous la forme d'une installation, incluant en modèle réduit une maquette ou reproduction d'un dripping (Robert Kusmirowski, Variations sur un thème de Jackson Pollock, 2011) ou sous les espèces encore de ce Blue Poles qui vous attend sur un stand. L'original, on le sait, se trouve en Australie, à Canberra. Celui qui est ici proposé, exhibé, offert est une réplique (« Ce n'est pas un Pollock »), mécanique et bien huilée. « Parfaite ». Bien trop parfaite.

L'art le plus contemporain sera ainsi parvenu à transformer certaines des œuvres d'un des peintres majeurs du XXe siècle en "croûtes" susceptibles d'orner votre salle à manger, votre bureau ou le hall du siège de votre entreprise.

À côté donc des valeurs sûres (les Picasso, Bacon, Tapiès, Miro, Rauschenberg ou Louise Bourgeois...) et d'artistes désormais confirmés (comme Anish Kapoor, omniprésent dans cette foire comme actuellement sur la scène internationale) ou d'artistes qui (telle Marlene Dumas) confirment leur importance, la jeune scène artistique donne fréquemment dans le Kitsch et le clinquant.

Les matériaux utilisés se veulent spectaculaires. Couleurs vives. Surfaces polies. Perles. Miroirs. Matières réfléchissantes. Textures brillantes. On navigue dans le monde des reflets et du « bling-bling ». Cet art se doit de BRILLER.

Une certaine esthétique internationale et décorative, très marquée par le design, se met ainsi en place, qui doit sans doute autant aux conseils avisés des nouveaux managers de l'art qu'aux goûts, au folklore et à certains habitus culturels des nouveaux arrivés. La culture chinoise contemporaine (qui apprécie avant tout les couleurs vives, les rutilances et les reflets) imposerait-elle peu à peu sa marque de fabrique ?

Et là, il faut bien le dire : trop de Kitsch tue le Kitsch. Sur certains stands, on n'a souvent plus qu'une envie, celle de prendre ses jambes à son cou..., de fuir ces bruyantes exhibitions d'objets, de reflets, pour retrouver - à quelques encablures de tramway - l'austère pureté des plaques d'acier de Richard Serra, le minimalisme d'un Brancusi et de son indémodable colonne sans fin (Fondation Beyeler). - Nous y reviendrons.

Dans cette Foire, et au détour des allées, j'ai aimé, beaucoup, passionnément, à la folie : les bleus de l'installation de James Turrell (Joecar Blue, 1968), si bien mis en valeur par les ombres projetées des visiteurs, le cœur machine à coudre de Louise Bourgeois (rouge et rose entre les cylindres bleus des bobines de fil destinées à le recoudre et repriser, Heart, 2004), les structures blanches, aériennes et squelettiques (faites de lettres comme suspendues dans l'espace) de Jaume Plensa, l'efficacité esthétique des slogans de Barbara Kruger (I thought you were someone else", 2008), le marbre blanc et dodu d'une petite figurine de Botero (1932), les fentes, trous, déchirures et brûlures des Fontana, Millares, Burri...

Et encore : un pantin articulé de Sophie Taeuber-Arp (1918), La Fontaine du papillon de Rebecca Horn (2011) : un liquide bleu s'écoule d'un entonnoir ; les ailes du papillon se mettent à vibrer. Ou ce film, ce très beau film - cadré, en permanence si bien cadré - de Lewis Baltz (Candlestick Point, 1984-1988).

Ou - mais comment ne pas en finir ! - l'installation-couloir biface de Dan Flavin : les tubes de néons colorés diffusent une lumière qui se transforme au fur et mesure de la progression du visiteur. La vision d'ensemble cède la place au gros plan. Et là tout bascule. On se retrouve dans un autre registre sensoriel. Tactile. Terriblement tactile.

mardi 7 juin 2011

ALEXANDRA DEMENTIEVA, « CONTACT FIELD ».

Installation interactive, Bruxelles-Venise, 2011.
« We are Here », Université Ca' Foscari, Venise.
04.06 / 02.07.2011

De Venise, Alexandra Dementieva m'envoie ces informations sur l'installation qu'elle vient de monter à Venise dans le cadre de l'exposition « We are Here ». Je vous retransmets son texte et cette image.

Nota bene : Une aide à la traduction (google traduction) se trouve en haut à droite de ce blog.

"The principal feature of the Human Being is his desire to communicate, to create links, to exchange ideas, to discover. Since forever, people have been in constant movement. First they met nearby tribes, later established connections with other countries and continents. Bringing along their culture and tools and exchanging them with others, they enriched themselvesand this process was expressed in technological and spiritual development. It as not always been this way, but I want to focus now on their endeavor for enlightenment-illumination.
One of the sweetest dreams of mankind was to meet other intelligent life. There are a lot of legends and myths devoted to this subject.
Recently, scientists published their hypothesis that very soon they would have to discover a planet that will have very similar life conditions to ours.
This installation is the "landing field" at the University of Venice.
To mark it, the author uses a sign - the pictogram 'PLAY'. The meaning of it is known to everyone and understandable for any intelligence : to start action. It is like an invitation for the aliens to land and open a new era together with humans.
Its shape will be cut in lawn grass and can stay there throughout the summer. In the evening, when it becomes dark, the sign could be lit by the viewer breathing into the flow detector that will be installed on a podium right in front of the grass' pictogram.
For this purpose, the author uses the LED lamp strip, putting it on around the shape. It will be invisible during the daytime and begin functioning in the night." (A.D.)

Università Ca’ Foscari Venezia

lundi 6 juin 2011

ARTAUD. « L’HOMME ET SA DOULEUR ». COMMENTAIRE D’UN DESSIN.

Tapuscrit original (1946)
du commentaire du dessin "L’Homme et sa douleur".

"L’HOMME ET SA DOULEUR". – Aux environs d’avril 1946, Antonin Artaud réalise à Rodez un dessin, accompagné d’un commentaire qui fut dactylographié. Il donne alors le tout à son médecin.

Ce tapuscrit original, signé de la main d’Artaud et comprenant de nombreuses corrections orthographiques de la main du poète, sera conservé par le Dr Latrémolière. C’est au domicile de ce dernier que nous eûmes l’occasion, en 1984, de clicher ces documents (dessin et tapuscrit) en vue de l’édition de notre ouvrage sur les dessins du poète, Antonin Artaud, Portraits et Gris-gris (Blusson, 1984 ; réédition 2008).

La mention, «… pour le remercier de ses électrochocs
 », ne figure pas sur le tapuscrit original qu’Artaud remet (en même temps que son dessin) à son médecin à Rodez aux alentours d’avril 1946.

Le commentaire de ce dessin est publié en 1978 par Paule Thévenin dans son édition (publication posthume) de Suppôts et Suppliciations (tome XIV* des Œuvres complètes, Gallimard).
Avec, sous le titre initial, un ajout [ultérieur] d'Artaud :

« Commentaire d’un grand dessin fait à Rodez
et donné au docteur Jacques Latrémolière
pour le remercier de ses électrochocs.
 » (p. 46).

Que s’est-il passé ? — Sorti de l’asile, Artaud rentre à Paris, reçoit commande pour un ouvrage et entame la réunion des textes devant composer Suppôts et Suppliciations. Entre novembre 1946 et février 1947, le poète dicte à Luciane Abiet une partie des textes devant composer le recueil.

Une note de Paule Thévenin situe et explicite (en 1978) ce « sous-titre », dont elle précise qu’il a été « ajouté ultérieurement et en deux temps. Les deux premières lignes ont été écrites à l’encre bleu-noir par Antonin Artaud au moment de remettre un double de cette copie à Luciane Abiet, afin qu’elle en fasse une nouvelle frappe, destinée à Suppôts et Suppliciations. (…) La dernière ligne du sous-titre, qui lui donne toute son ironie, a été ajoutée à l’encre bleue sur la nouvelle copie établie par Luciane Abiet. » (note 1, p. 258.).

Cette note explicative disparaît des éditions successives de ce commentaire du dessin (Catalogue du Musée Cantini, 1995, et Quarto, 2004).

La disparition de cette note est tout à fait regrettable, car isolée de son contexte, cette formule (« pour le remercier de ses électrochocs ») peut prêter à confusion et perdre ce caractère d’ironie qui la marque. L’histoire et l’histoire de l’art se doivent d’être précises.

Cette phrase ne figure pas dans le commentaire qu’Artaud confie originellement à son médecin. Il s’agit d’un ajout tardif, effectué par le poète alors qu’il n’est plus à l’asile et ne se trouve plus en contact avec le Dr Latrémolière.

La suppression de cette note, la non situation et non datation de cette formule « ajoutée » ne peuvent qu’entretenir la confusion. Sur un sujet hautement sensible. Artaud n’a effectivement cessé de s’insurger avec virulence contre le traitement à l’électrochoc. Ce dont témoignent la totalité de ses textes, ceux de Rodez et ceux du retour à Paris.

Il paraît donc fondamental de demeurer prudent dans l’utilisation de cette formule et d’en éviter tout usage intempestif.

Suppôts et Suppliciations : le livre ne se fera finalement pas du vivant d’Artaud ; l’ouvrage restera à l’état de chantier, ce que j’ai pu constater lorsque j’en ai consulté le dossier à la Bibliothèque nationale entre 2004 et 2006. Ce que corrobore Paule Thévenin dans ses notes : « A sa mort ; la copie de Suppôts et Suppliciations était loin d’offrir un texte assez sûr pour être publié tel quel » (p. 233.). Le texte définitif n’ayant été ni établi, ni vérifié par Artaud, Paule Thévenin s’est alors heurté à de grandes difficultés dans l’établissement de ce texte. Elle en donne de nombreux exemples dans ces mêmes notes.

Artaud révisait ses textes et les révisait souvent sur les épreuves finales destinées à l’impression. Paule Thévenin le dit très nettement dans de nombreuses notes : pour Suppôts et Suppliciations, ce jeu d’épreuves définitives (et révisé par Artaud) n’existe pas. Le poète aurait-il, dans une version définitive (et prête pour l’impression) de son texte, conservé cet ajout ? La question reste ouverte.

Sur les usages de cette formule : Festival de l'histoire de l'art.

vendredi 3 juin 2011

ANTONIN ARTAUD ET LA GRÈCE : « GUÉRIR EN PLONGEANT ».

Ulysse et les sirènes
(Relevé d'un vase grec, Ve siècle avant J-C).

« Sa plainte venait d’au-delà du temps, et comme portée par l’écume d’une vague sur la mer Méditerranée, un jour inondé de soleil ; cela ressemblait à une musique de chair qui se propageait à travers les ténèbres glacées. C’était, réellement, la voix de la Grèce archaïque, quand du fond du labyrinthe Minos voit se cristalliser soudain le Minotaure à la chair virginale. »
(Antonin Artaud : sur la prestation de Génica Athanasiou dans l’Antigone de Cocteau, Œuvres complètes, VIII-217).

Artaud est profondément marqué par le monde grec, les Mystères d’Eleusis, la naissance de la tragédie et les figures des mythes archaïques. Les origines de sa famille maternelle (qui parle le grec) sont levantines. Sa petite enfance est méditerranéenne. Au collège, il étudie le grec ancien dont bien des consonances répparaîtront plus tard dans ses poèmes et glossolalies.

En 1922, aux côtés de Génica Athanasiou (Antigone), il tient le rôle du devin Tirésias dans l’Antigone de Cocteau, pièce montée avec des décors de Picasso et une musique d’Arthur Honegger.

Il manifeste alors une grande admiration pour Platon et pour Euripide. Son « théâtre de la cruauté » et l’ensemble de ses textes sur le théâtre s’abreuvent très précisément à des sources grecques (cf. Le Théâtre et son double). Jusqu’à la fin de sa vie, il restera hanté par les mythes du pourtour de la Méditerranée et fera, peu de temps avant sa mort, le projet de monter une pièce d’Euripide.

Moment grandiose : celui où l’interné de Rodez évoque dans ses cahiers son passage par le bureau de la surveillante de l’asile :

« La poétesse Euripide m’a reçu dans le bureau de la surveillante de l’asile de Rodez et m’a donné une chemise ». (Œuvres Complètes, tome XVIII)

Sur les relations d’Antonin Artaud et du monde grec on pourra écouter cette émission de radio réalisée par Gérard Gromer, le 31 juillet 2008, Sur le bateau d’Ulysse, « Guérir en plongeant » (fichier .zip à télécharger sur la page).

Lien Audio : « Guérir en plongeant ».

jeudi 2 juin 2011

LA MAISON LAURENTINE. « D’ABORD LES FORÊTS… OPUS 2 ».

Roumanie, 2009 ©FDM.

« La forêt de Catherine est pleine des arbres de tous les bois
et la forêt d’Yvonne un bois immense plein des arbres de toutes les forêts. (…)

Les bois doivent tenir des arbres passagers sinon ils sont des tronçons de forêts restantes.

C’est une affaire d’implantation,
les bois laissent passer le soleil par les trous et le divisent,
les forêts l’empêchent de pénétrer. »
(Antonin Artaud, Oeuvres complètes- XXI-147)

La première fois que j’ai entendu parler de la Maison laurentine, c’était au Québec, dans la petite ville de Granby, à l’automne 2010. Par Patrick Beaulieu, artiste québécois, auteur de parcours, d’installations et d’œuvres d’une grande poésie, qui fréquemment se réfèrent à la nature et participent d’un grand souci environnemental.

Animé par Pierre Bongiovanni, dont on connaît la ténacité et le patient travail accompli à Montbéliard en faveur de l’art vidéo et des nouvelles technologies, ce centre d’art (qui se veut « discret », ancré dans un lieu et un sol au point de vouloir s’y fondre) se situe entre les vallées de l’Aube et de l’Aujon, en plein cœur du futur Parc National des Forêts de « Feuillus en plaine ».

Cest là entre la Haute-Marne et la Côte d’Or que la Maison laurentine - et les populations environnantes - accueillent artistes résidents, visiteurs saisonniers, etc. Une population variée à laquelle on propose parcours, théâtre, expositions, musiques, performances. Et la rencontre avec des artistes venus de tous les horizons : France, Japon, Canada, Portugal, Uruguay, Mexique, Taiwan, Russie, etc.

Du 3 juillet au 25 septembre 2011, il s’agira pour l’ensemble des participants d’explorer le monde intermédiaire qui se trame et se tisse entre l’homme, la nature et l’animal. D’où l’idée d’un parcours artistique ponctué de lieux d’expositions mais aussi d’œuvres « invisibles », disséminées dans la nature et que les randonneurs pourront repérer à l’aide d’un GPS.

Aux habitants des vallées de l’Aube et de l’Aujon il a été demandé de fournir quelques « trésors » en leur possession : fragment de journal intime d’une jeune fille ayant vécu la déclaration de guerre de 1914, nid d’oiseau confectionné par son occupant à l’aide de guirlandes de Noël, etc. On est là aux lisières de l’art, dans le domaine de cette culture secrète et populaire dont nous demeurons friands.

A tous on souhaite de jolies découvertes. Et quelque enchantement dans les explorations et parcours en forêt.

La Maison Laurentine.