mardi 1 novembre 2011

ARTAUD, PORTÉ, DÉPORTÉ, TRANS-PLANTÉ.

"A Pierre Bousquet, déporté en Allemagne durant la dernière guerre, Artaud écrit en 1946 et depuis l'asile de Rodez, avoir été lui aussi mis en "état de déportation".

- "Être brutalement sorti de son pays, pour être transplanté dans un autre comme une plante en prévention de carie est affreux, et il est affreux d'être brutalement et sur ordre tout à coup dépaysé. Plongeur qui perdrait l'axe d'un paysage et dans le paysage un lambeau de son corps, comme s'il voyait tout à coup son corps passer dans le paysage comme le rouleau d'un kaléidoscope tournant." (Œuvres complètes, XI-271) C'est que pour Artaud tous les processus d'éloignement, de délocalisation, de dépaysement ne peuvent être vécus de manière positive ou enrichissante et cela parce que nous sommes d'emblée expulsés et expropriés, déportés hors de nous-même. […]

Si la vie se trouve comparée à un gigantesque périple, le voyage fondamental est alors celui par lequel nous quittons l'être et sortons de l'unité primitive. Car voyager, c'est passer. D'un lieu en un autre. D'un état à un autre état et - pourquoi pas - d'un être à un autre être. Cette sensation d'inconnu, ce sentiment d'étrangeté qui apparaissaient comme la dimension fondamentale du voyage, gagnent ici le moi. L'étrangeté devient toute intérieure.

Mais il ne s'agit pas, en cette aventure, d'être mû par un autre que soi. Car alors il s'agira d'exil et de déportation au sens strict du terme, d'une véritable main-mise sur le corps. Artaud ne veut à aucun prix de ce voyage ou déplacement obligé. C'est ainsi qu'à l'asile Sainte-Anne il refusera violemment - jusqu'à être encamisolé de force - le transfert à Ville-Evrard contresigné par les médecins en février 1942 : "je protestais contre un nouveau transfert (le 4e en 17 mois) et contre le fait de voir depuis tout ce temps l'administration disposer de moi comme d'un colis, QUI N'A PAS LA PAROLE…" (F de M, Extrait de Antonin Artaud, Voyages, 1992)

"Antonin Artaud, Voyages", Blusson, 1992

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