vendredi 1 juillet 2011

KONRAD WITZ : PEINTURE ET PROFONDEUR DE CHAMP.

A Bâle s’achève l’exposition Konrad Witz. Installé à Bâle dans la première moitié du XVe siècle, fortement marqué par le style des peintres flamands de la même époque, le peintre suisse développe une œuvre étonnante. Et d’une hallucinante modernité. La maestria avec laquelle il s’empare des paysages, du reflet des éléments et du chatoiement des matières n’a pour égal que cette science inégalée de la profondeur de champ dont son œuvre offre maints exemples.

Cette profondeur de champ m’a irrésistiblement ramenée à cet autre maître de la profondeur de champ, cinématographique cette fois, que constitue Orson Welles (cf. Citizen Kane, 1941).

Voir le monde, non plus de manière plate - à la façon d’un ruban qui défilerait latéralement sous nos yeux -, mais comme une chair entaillée, une image indéfiniment ouverte et qui recèle ce que l’on nomme une « épaisseur » : tel est bien le « point de vue » de Konrad Witz.

La perspective, cette construction tout à la fois empirique et mathématique, mentale et assujettie à des instruments de mesure, est à l’époque balbutiante et en voie de constitution. Le terme qui convient ici est donc bien celui de « profondeur de champ », et la réalité picturale celle d’une vision portée au-delà d’elle–même, d’une vision qui se prolonge, se chevauche, s’ajoute à elle-même et se redouble.

Amorce d’une vision « sans fin ». A l’image de la Colonne sans fin de Brancusi. D’une colonne qui aurait basculé, et viserait non plus le ciel mais la ligne d’horizon. Je m’égare, me direz-vous, je m’égare. - Mais, j’adore m’égarer…

L’image médiévale est désormais « entaillée ». Ouverte. Elle n’est plus seulement entrebâillée comme dans le système de la vedute.

Un double mouvement inverse porte la modernité, l’incroyable « nouvelle objectivité » (j’emploie ici cette incongruité « historique » à dessein) de l’image picturale. L’œil acéré du peintre vient crever le miroir des apparences. Le réel - en retour – s’ordonne et s’organise suivant un axe et une ligne de fuite.

La peinture est devenue un monde à arpenter. Un univers où, moi, voyeur (« regardeur » à la Duchamp) ou simple marcheur, je puis naviguer et pénétrer.

Konrad Witz, Musée de Bâle.

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